On est saisi devant le paysage, la diversité de formes, de couleurs, le désir d’accumulation, le plaisir de la variation sérielle qui se déploient sous nos yeux. L’installation de Gianpaolo Pagni nous confronte à un champ infini de configurations abstraites, albums palimpsestes, acrylique sur papier autocollant, toiles peintes. On devine l’itinéraire progressif de la recherche de l’artiste, celle d’une archéologie de la mémoire ainsi qu’une interrogation de l’espace du visible.
« L’histoire repose sur des témoignages, des traces visibles laissées par une société » nous disent les historiens. Gianpaolo Pagni a collecté d’anciens albums Panini 1 , ces petits fascicules nés dans les années soixante que les enfants remplissaient en achetant des vignettes. A la galerie Modulab il expose Colori sociali, et Flora & Fauna, des albums aux domaines contrastés qu’il connecte dans une poétique mariant culture populaire, fragilité de l’enfance et accumulation.
Pour Gianpaolo Pagni, le motif est une stratégie de création ; les albums Panini lui offrent une structure pré-déterminée qui n’en permet pas moins l’incursion du hasard et du jeu dans l’oeuvre. Par le recouvrement, les discontinuités, les répétitions et le collage, il superpose histoires, temporalités et
couches de sens, recouvre le temps enclos par du temps neuf, interrogeant notre rapport au souvenir. Dans ce réservoir de signes et de couleurs, deux formes géométriques émergent, celles du carré et du cercle. Elles tissent un réseau hiératique où toute figuration semble exclue.
Cependant, à y regarder de plus près, on peut apercevoir des liens, aléatoires, entre l’image, les titres et les textes et découvrir ce qui pourrait être ici un bec d’oiseau ou là une rayure de tigre. On sait l’importance que Jean Dubuffet accordait à la « titraison » de ses oeuvres 2 et aux relations
triangulaires qui s’établissaient alors entre texte, image iconique et image plastique. Dans l’oeuvre de Gianpaolo Pagni, ces mêmes liens dessinent une trajectoire du détournement et du dépaysement.
Albums dessins et Album unique, ces grandes figures totémiques où s’exprime la sensualité de la matière, libèrent l’artiste des contraintes du codex. Gianpaolo Pagni plonge le spectateur dans l’univers de la couleur. Il y peint comme on dessine avec des pastels à l’huile, sur des papiers techniques, quadrillés, des toiles imprimées venues du monde de la fabrique. Dans l’oeuvre il incorpore du banal, du quotidien, des éléments étrangers au domaine artistique, concilie par
l’authenticité de sa démarche rigueur et poétique. « Comme de longs échos qui de loin se confondent 3 » ; la performance musicale Flore faune et foot et le multiple 45 tours qui la prolonge témoignent de la diversité de création de l’artiste. Avec le musicien Olivier Hazemann, Gianpaolo Pagni compose une expérience multisensorielle, un lieu de rencontre où instrumental, traces radiophoniques, réminiscences se répondent.
« Raconter encore et encore … rassembler tout un état du monde 4 ». Le fragment, cet élément unitaire combiné à l’infini par les artistes, donne accès au monde dans sa totalité. A l’instar de Georges Perec, autre amateur de bribes et inventaires, Gianpaolo Pagni crée avec l’exposition Flore, faune et foot une œuvre d’une grande vitalité, une genèse catalyseur de sens, assurément une invitation à rafraîchir notre regard.
Francine Foulquier, 30 janvier 2022
1 maison d’édition italienne connue pour l’édition d’albums d’images à collectionner, Modène, 1961
2 Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, t 2. Gallimard, 1967 (p. 174, p. 474)
3 Charles Baudelaire, Correspondances, Les Fleurs du mal, Gallimard (coll. poésie n°85)
4 Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Hachette POL, 1978