Armelle Tulunda réalise des œuvres dans le champ de la photographie et de l’image au sens large, par production directe mais aussi par appropriation d’images extraites d’ouvrages ou de sites internet de vulgarisation scientifique. Elle s’intéresse plus particulièrement à la construction de ces images, non seulement d’un point de vue scientifique, mais aussi politique, sociologique et historique. En pointant leurs modes de fabrication, elle souligne la manière dont ces images révèlent un état de l’univers ne relevant pas strictement d’une vérité indiscutable. Autodidacte en science et appréhendant cette discipline avec un regard assumé d’artiste, Armelle Tulunda s’inspire d’abord de la beauté de ces images, de leur qualité poétique, tout en prenant conscience de la facticité de leur apparence : telles celles transmises depuis le début des années 90 par le télescope spatial Hubble qui, n’étant pas assez précises à l’état brut, doivent être colorées, retouchées, afin de devenir plus lisibles scientifiquement, et accessibles au grand public. L’artiste trouve dans ces méthodes ignorées, un espace de liberté à partir duquel faire dériver ses propres images du cosmos, entre rêveries infinies, abstraction poétique et, en filigrane, une réalité de production des images procédant d’enjeux politiques et économiques souvent éloignés de la recherche scientifique pure. Apparait alors un « réalisme » scientifique d’une grande subjectivité ayant des conséquences notables sur l’imaginaire cosmique collectif, tournant ainsi une image optimisée pour la recherche en documentation authentique.
Armelle Tulunda se plaît à ancrer ses œuvres dans une situation paradoxale, celle confrontant une imagerie d’une grande précision, fournie par des outils à la technologie toujours plus puissante - dont elle s’approprie les codes -, et la production d’images à l‘atelier, artisanale, puisque recourant à des techniques photographiques ne nécessitant pas d’appareillage sophistiqué, tel que le photomontage ou encore la photographie analogique avec le chimigramme. Ces diverses manipulations permettent à l’artiste d’interroger le médium photographique, son histoire, ainsi que sa fragilité à représenter le réel au-delà de sa surface, souvent considérée par la majorité comme vérité irréfutable. Elle s’intéresse ainsi à la manière dont chacun perçoit les phénomènes non-accessibles directement aux communs des mortels, et comment ces derniers lient leur subjectivité à l’inconnu, en amalgamant histoires personnelles et discours scientifiques officiels, composant ainsi la connaissance du monde et une certaine vérité, orientée dans une direction plutôt qu’une autre.
Suite à ses premières recherches dans le domaine de l’astronomie, Armelle Tulunda s’intéresse récemment au phénomène de pollution lumineuse : celle, omniprésente mais discrète qui ne fait pas vraiment débat, qui n’alimente pas les thèses catastrophistes, mais qui aura pourtant des séquelles non négligeables sur l’évolution des humains et non-humains dans leur rapport aux cycles biologiques. Car la lumière produite par l’environnement urbanisé ne permet plus à ceux qui y vivent d’être reliés au monde céleste, rendu invisible par un épais brouillard lumineux... L’artiste, ayant grandi en région parisienne relate l’anecdote suivante : « Pendant une visite il y a quelques années à la Cité des Sciences et de l’industrie à Paris, j’ai assisté à une séance au sein du Planétarium. Celle-ci présentait les différentes étoiles, planètes, ou encore phénomènes que nous pouvions voir à l’oeil nu. Malgré la qualité des images projetées, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une insatisfaction que j’ai mis du temps à verbaliser. S’il y a tant de choses riches à voir, simplement en ayant accès à un ciel nocturne le plus dénué de pollution lumineuse, pourquoi m’étais-je déplacée dans un espace clos pour voir des images de synthèse? ». Dans le cadre de son exposition Intervalles dans la vitrine de la Gue(ho)st House, l’artiste confronte son expérience citadine avec celle de Delme, où les étoiles sont bien visibles durant la nuit. Les œuvres présentées conduisent à une réflexion sur nos relations personnelles au cosmos, sur nos pertes de repères considérés comme « naturels », et sur une période de crise écologique nécessitant souvent de trouver de nouvelles formes de reconnexion avec l’univers.
Exposition du 7 janvier au 13 février 2022 dans la Gue(ho)st House, Delme. Vernissage le 7 janvier à 17h.
Dans le cadre de son partenariat avec l’ENSAD de Nancy via le projet Perspectives 2020-21, l’équipe du centre d’art contemporain - la synagogue de Delme accompagne Armelle Tulunda dans ses projets pendant une année grâce au programme de soutien à l’émergence artistique 2021 de la Région Grand Est.